C’était le “buzz” de la semaine – malgré la grosse actualité politique – le départ de Thomas Pesquet pour la station spatiale internationale, l’ISS. Le lanceur russe avec à son bord la capsule Soyouz et les trois astronautes (une américaine, un russe, un français) a décollé de Baïkonour au Kazakhstan jeudi à 21h20, sans aucune difficulté.
S’en sont suivies 48H de vol pour “rattraper” l’orbite de l’ISS, puis enfin, après une délicate manœuvre d’abordage… c’est le contact ! Et l’accueil des nouveaux arrivants par les trois astronautes déjà présents.
Car oui, il est selon moi inconcevable qu’une grande nation – ou du moins qui se revendique comme telle – membre du Conseil de Sécurité des Nations Unies, et qui plus est sur le podium de celles qui investissent le plus dans les programmes spatiaux… n’envoie pas régulièrement des hommes dans l’espace.
Mais revenons à nos spationautes (ou astronaute, ou cosmonaute. Le terme compte en géopolitique !). On touche ici à une sorte de prestige, de rayonnement international, le type d’aventure exceptionnelle qui implique des décisions politiques avant-gardistes, courageuses, comme autant de prouesses scientifiques… ainsi qu’un enthousiasme populaire tout à fait réel, quantifiable. Il n’y a qu’à voir l’emballement médiatique et public qui entoure la mission de Thomas Pesquet en France.
L’espace fait donc encore rêver.
Cela, les agences spatiales l’ont bien compris en maximisant au possible le buzz autour de leurs missions, l’idée étant de faire revivre les plus belles heures de la conquête spatiale de la Guerre Froide, et ainsi grâce à l’opinion publique tenter de sanctuariser leur budget face à des décideurs politiques plus préoccupés par le bon vieux “plancher des vaches”. Nous y reviendrons.
Je conseille sur ce sujet un récent article de Slate.fr: “Pourquoi les agences spatiales font de leurs astronautes des stars ?”.
Pourquoi la France et l’Europe n’ont pas misé sur le vol habité ?
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La légendaire et très fiable capsule russe Soyouz |
Une question souvent posée est la suivante: si la France – disons maintenant l’Europe incarnée dans l’ESA – a su développer la superbe famille des lanceurs Ariane, pourquoi ne dispose t-elle pas de moyens capables d’envoyer un équipage dans l’espace ?
L’Europe, en tant qu’entité géographique est entrée dans l’histoire des vols habités grâce au cosmonaute tchécoslovaque Vladimir Remek en 1978, au sein du programme soviétique de partenariats Interkosmos. La même année c’est un polonais, Miroslaw Hermaszewski, qui prit part à la mission Soyouz 30. Puis l’allemand Sigmund Jähn à bord du Soyouz 31.
Il fallut attendre le 24 juin 1982 pour que le premier astronaute d’Europe occidentale, le français Jean-Loup Chrétien, prenne place à bord d’un Soyouz T-6 à destination de la station Saliout 7.
Un an plus tard, en 1983, l’Europe faisait un pas de géant sur la scène des vols habités grâce à son propre laboratoire orbital Spacelab… envoyé en mission dans la soute de la navette spatiale américaine Columbia du 28 novembre au 8 décembre 1983…
Je m’arrête là. Vous l’aurez compris, seuls, les pays européens ne pèsent rien. A travers l’ESA, ils peuvent développer des programmes ambitieux mais sont depuis l’origine dépendants soit des russes, soit des américains.
Ceci s’explique tout simplement par des raisons budgétaires, l’ESA devrait bénéficier d’un budget au moins doublé pour pouvoir s’aligner sur les normes techniques, de fiabilité notamment, qu’impliquent les vols habités.
Aussi, il aurait dès l’origine fallu disposer d’une unité politique, d’une vision stratégique qui n’existe toujours pas en Europe, y compris au sein de l’Union. Une politique stratégique qui a animé les deux superpuissances de la Guerre Froide, les poussant à innover jusqu’à l’usure… mais dont les acquis et le rayonnement demeureront historiques.
C’est ainsi qu’en février 2015, lancé depuis la base de Kourou (Guyane Française) via une fusée Vega, “IXV”, le prototype d’avion spatial européen a volé 100 minutes au dessus du cercle arctique avant d’atterrir dans l’Océan pacifique. Une première.
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Le démonstrateur de l’ESA “IXV” |
L’Europe pourrait donc bien à l’horizon 2030 disposer de son propre véhicule spatiale. 2030, une décennie qui verra justement venir des échéances historiques.
Mars: équipage international ou nouvelle lutte entre hyperpuissances, il faudra bientôt choisir
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La nouvelle capsule américaine Orion devrait être opérationnelle entre 2021 et 2023 |
L’ISS est officiellement en opération jusqu’en 2024. Avant la fin de cette formidable aventure viendra pour des nations cadres comme la France, non dotées de leur propre programme de vol habité, la question de savoir comment celles-ci pourront encore envoyer des hommes dans l’espace, et pour quelles missions. On parle bien ici de l’ambition obligatoire de tout pays se réclamant du titre de grande puissance.
Thomas Schumacher, Pax Aquitania.
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TThomas Pesquet, à bord de l’ISS, ce lundi 21 novembre 2016. |